Le 21 avril 1961, les généraux Salan, Challe, Zeller, Jouhaud et quelques autres déclenchaient à Alger le « putsch des généraux », en réaction à la politique menée par le général de Gaulle, considérée comme une trahison, à savoir cesser la guerre et négocier l’indépendance de l’Algérie.
Ce triste évènement, qui avait conduit notre pays à une guerre civile larvée menée par l’OAS (Organisation de l’armée secrète) et à l’attentat contre le général de Gaulle, Valeurs actuelles a choisi de le commémorer à sa manière en publiant, soixante ans plus tard, ce 21 avril 2021, l’appel d’un quarteron de généraux à la retraite « pour un retour de l'honneur et du devoir au sein de la classe politique », cosigné par près d’un millier de militaires. Je suis intimement convaincu que la date n’a pas été choisie au hasard. Elle inscrit cet appel dans une lignée assumée.
ARMÉE PUTSCHISTE ?
Deux jours plus tard, dans le même hebdomadaire, Marine Le Pen a soutenu l’appel, comme un clin d’œil à la ligne antigaulliste de Jean-Marie Le Pen et de sa famille politique. Elle a proposé à ces militaires de la rejoindre « pour le redressement » et « le salut du pays » ; mais c’est déjà fait, puisque nombre d’entre eux sont encartés au RN ou proches de cette formation politique.
Il s’agit principalement de militaires depuis longtemps à la retraite, et pour beaucoup devenus militants politiques. Certains ont d’ailleurs perdu leurs titres à la suite de propos ou d’attitudes jugées problématiques par l’institution militaire, tant ils étaient en décalage avec les principes républicains. D’ailleurs, la ministre des Armées, Florence Parly, a fustigé cette tribune en rappelant à Marine Le Pen que « deux principes immuables guident l’action des militaires vis-à-vis du politique : neutralité et loyauté ». Florence Parly aurait bien fait de se souvenir de ces principes lors de la répression des gilets jaunes.
PAS DE RALLIEMENT MASSIF
Dans leur appel, les signataires veulent faire croire au ralliement massif de l’armée d’active. Je n’y crois pas. L’armée que je connais est républicaine dans sa grande majorité et si ceux qui la composent peuvent être critiques en leur for intérieur quant à l’évolution de la société, ils refuseraient de s’engager dans une aventure putschiste.
« Ces critiques sont néanmoins bien limitées et circonstanciées »
Notons que certains constats évoqués dans l’appel sont justifiés, mais très parcellaires et biaisés. Ainsi, les signataires critiquent légitimement le communautarisme qui gangrène certains de nos quartiers, les théories racialistes et décoloniales, le rejet des symboles de la nation, ou les territoires perdus de la République, livrés aux islamistes et aux gangs mafieux. On y trouve également une brève critique de l’instrumentalisation partisane des forces de l’ordre par le gouvernement lors de la répression contre les Gilets jaunes.
ET LA SOUVERAINETÉ, ALORS ?
Ces critiques sont néanmoins bien limitées et circonstanciées. On ne trouvera rien dans cet appel sur le néolibéralisme qui saborde la France et la République depuis plus de quarante ans ; rien sur les conditions socio-économiques de plus en plus dégradées qui, si elles n’excusent pas les comportements antisociaux, sont cruciales pour les contextualiser ; rien non plus sur la trahison d’une partie des élites, Emmanuel Macron en tête.
Que n’évoque-t-il pas la responsabilité de ce dernier dans la vente d’Alstom, la fusion de Nexter avec l’allemand KMW (adieu à nos chars), la cession des chantiers navals de Saint-Nazaire, héritage du cardinal de Richelieu ? Encore plus étonnant, on n’y trouve aucune critique du sabotage des intérêts nationaux français au profit d’organisations supranationales, ni des transferts de souveraineté de la France vers l’UE ou l’OTAN.
PATRIOTES SÉLECTIFS
L’insupportable capitulard d’Aix-la-Chapelle ne semble pas inquiéter outre mesure ces patriotes bien sélectifs, qui ne mentionnent pas plus la désindustrialisation, la casse des services publics (dont l’armée) ni la destruction du modèle social français hérité du Conseil national de la Résistance.
Et pour cause. L’essence de l’appel, son message politique central tient en ce paragraphe proprement ahurissant : « Par contre, si rien n’est entrepris, le laxisme continuera à se répandre inexorablement dans la société, provoquant au final une explosion et l’intervention de nos camarades d’active dans une mission périlleuse de protection de nos valeurs civilisationnelles et de sauvegarde de nos compatriotes sur le territoire national ».
LE VRAI RÔLE DE L'ARMÉE
C'est un appel à la sédition militaire et à la guerre civile, ou leur justification. C’est là que le choix de la date du 21 avril pour sortir cette tribune prend tout son sens, comme une mise en garde. Il faut le dire clairement, l’armée défend l’intégrité du territoire national et les intérêts de la nation à l’extérieur de ses frontières. Elle ne doit pas se mêler d’affaires intérieures, qui sont du ressort de la police nationale.
La confusion a été introduite dans ce domaine sous la présidence de Nicolas Sarkozy qui a été à l’origine d’un Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, initiant un mélange des genres que notre République pourrait payer un jour. La ministre Florence Parly le regrette aujourd’hui, mais sans y remédier.
ÉPUISANTE ET INUTILE OPÉRATION SENTINELLE
Marine Le Pen, Nicolas Sarkozy ou Emmanuel Macron ne sont pas les seuls responsables politiques plongeant dans la facilité du recours aux armées pour tenter de résoudre des problèmes sociaux structurels. Cette tentative a toujours été un échec et une tragédie morale nationale. Que l’on se remémore 1830, 1848 ou la Commune de Paris – nous célébrerons bientôt le 150e anniversaire de la semaine sanglante. Cette dérive n’est pas l’apanage de la droite, loin de là. Plus récemment, en 1948, Jules Moch lança l’armée contre les mineurs du Nord.
« Il n’en est jamais sorti et il n’en sortira jamais rien de bon, sauf le déshonneur »
Aujourd’hui encore, on trouve des politiques, dits de gauche, assez inconséquents pour espérer que l’armée résolve les « problèmes des banlieues ». Parmi eux on trouve Manuel Valls, Ségolène Royal ou encore Samia Ghali. François Hollande a lancé et Emmanuel Macron, poursuivi, l’inutile opération Sentinelle qui épuise nos militaires, déjà durement éprouvés par leurs missions à l’international, et les expose aux djihadistes amateurs.
Comme l’a clairement montré un rapport parlementaire rédigé sous la présidence Hollande, elle n’aide en rien à lutter contre le terrorisme ; mais les militaires sont dans nos rues, armes à la main, à la plus grande surprise des autres démocraties européennes, et nos concitoyens s’habituent peu à peu à leur omniprésence.
C’est, je crois, le niveau absolu de la nullité politique. Quand on ne sait plus quoi faire, quand on est responsable de la misère populaire en raison des politiques ineptes qu’on a menées, donner l’armée contre le peuple, c’est avouer non seulement son impuissance à penser autrement la société, mais aussi sa bassesse. Il n’en est jamais sorti et il n’en sortira jamais rien de bon, sauf le déshonneur.
CATASTROPHE DE LA GESTION DES GILETS JAUNES
Emmanuel Macron s’est ainsi définitivement délégitimé au regard de l’histoire en imposant une répression contre son peuple qui ferait pâlir Vladimir Poutine lui-même : 12 000 arrestations, 3 000 condamnations, 1 200 sentences de prison ferme et des centaines de blessés graves, alors même que le mouvement des gilets jaunes ne demandait qu’un peu de justice sociale et fiscale. Rappelons qu’il s’agissait principalement de manifestants pacifiques, pour la plupart non politisés.
Remettons les choses dans le bon ordre : ce sont les manifestants qui ont été agressés par des forces de l’ordre instrumentalisées par le pouvoir politique afin que les citoyens aient peur de manifester, et les casseurs et les black blocks, idiots utiles du système, ont servi à discréditer le mouvement par leurs exactions, jamais sanctionnées.
Nous avons tous été témoins de ce que devient le maintien de l’ordre quand, au lieu d’être assuré par des professionnels comme les CRS ou les gendarmes mobiles (des militaires), il est confié à des non-professionnels comme les policiers de la BAC, de la police judiciaire ou même des policiers administratifs. Ce fut le chaos – et encore, ils n’avaient pas réellement d’armes de guerre, « juste » des flash-balls et des grenades de désencerclement.
UNE SOLUTION POLITIQUE, PAS MILITAIRE
Il est aisé d’imaginer la catastrophe si des militaires, entraînés à tuer et à détruire, utilisaient leurs armes contre une population civile. Quand la crise économique et sociale est trop grave, la solution ne peut pas être militaire, elle doit être politique.
Ce n’est pas la première fois que Valeurs actuelles offre ses colonnes à de tels propos. Je me souviens que lorsque je montais moi-même dans les derniers wagons du service militaire, des généraux du même tonneau que ceux qui viennent de s’exprimer dans cet appel du 21 avril se félicitaient de la fin du service militaire en déclarant que… des militaires professionnels n’hésiteraient pas à tirer dans le tas, le cas échéant.
REVENIR À UN SERVICE NATIONAL
Ces propos et cette dernière tribune devraient déciller les yeux à une certaine gauche bourgeoise qui a cru remporter une victoire avec la suspension du service national. Ce qui a été suspendu, c’est un acquis de la Révolution française : le peuple en armes, défendant les institutions qu’il s’est choisies. Le peuple n’y a rien gagné, au contraire. Il faudrait revenir à un service national à composante militaire.
« Un petit putsch ne résoudrait rien »
Face à la crise structurelle d’un système néolibéral à bout de course, face à une crise sanitaire qui épuise les Français et annonce une crise économique sans précédent, l’unité républicaine est de rigueur contre tous les séparatismes : contre les identitaires de la foi islamique et autres racialistes importateurs d’un modèle anglo-saxon délétère, contre les fossoyeurs du modèle social français, contre les oligarques traîtres à la nation, et contre les aventuriers militaristes d’extrême droite.
Un petit putsch ne résoudrait rien. Au contraire, en ajoutant la mort à la misère, il ouvrirait une période d’instabilité et de violence qui serait fatale à notre pays. Les politiques qui défendent de telles options ne méritent pas de gouverner.